PÉDAGOGIE



APPRENDRE LA MUSIQUE VIA LE CONSERVATOIRE, UN BILLET D'HUMEUR

Ce billet n'a pas pour prétention d'expliquer tous les points positifs et négatifs relevant de l'enseignement de la musique dans un conservatoire. Néanmoins, je vais m'efforcer d'expliquer dans cette page ses enjeux, ses forces et faiblesses, sachant que les dispositions éducatives peuvent à tout moment évoluer au fil du temps.


DES « RÉFLEXIONS PÉDAGOGIQUES » SANS CONSÉQUENCES OU PRESQUE

En dehors de toute interprétation personnelle, l'un des problèmes majeurs soulevé par la musique est de savoir comment la communiquer intellectuellement. Transmise oralement dans un premier temps, ce sont les écritures qui ont pris le relais afin que tout en chacun puisse l'étudier sans la dénaturer et surtout sans trahir les idées du compositeur. À première vue, les écritures ont donc apporté une réponse fiable. Pourtant, de nos jours, rien n'est moins sûr. Compte tenu du rôle qu'elle exerce dans les musiques vivantes et face à son pouvoir limité, elle soulève régulièrement des discordes sur sa portée à tranformer le paysage musical.

Si une partition repose sur un ensemble de codes à la portée d'un enfant, nous ne sommes certes pas en état de comparer son usage aux efforts que tout musicien se doit d'accomplir au fil de sa vie pour se sentir toujours en accord avec son instrument. Pour y répondre, les prestigieux conservatoires, contrôlés par l'État, ont pour obligation d'avoir dans leurs locaux des professeurs munis d'un diplôme reconnu ou d'un certificat d'étude. En retour, ces femmes et ces hommes, souvent dévoués, sont censés offrir à leurs élèves un niveau suffisant pour qu'ils puissent s'engager un jour professionnellement suite à un parcours s'étalant sur plusieurs années.

Le programme proposé par les conservatoires, extrêmement riche, soulève néanmoins quelques interrogations dès que des examens se présentent. Il est toujours délicat pour un professeur qui a un « élève doué » dans sa classe de le voir perdre ses moyens pour des raisons qui peuvent tenir des circonstances du moment : émotivité, nervosité, trac et que sais-je encore. De fait, la sanction tombe sèchement mettant en cause sa compétence instrumentale. En face : des examinateurs impartiaux, responsables, qui voient défiler devant leurs yeux des élèves sans avoir recueilli préalablement autre chose que leur nom et l'œuvre qu'ils sont tenus d'interpréter.

Dans ce cas d'école, forcément sélectif et que le cinéma a parfois souligné comme une torture (et pas seulement en musique), se pose alors la réflexion approfondie de la pédagogie et des choix prescriptifs que dicte la société avec cette vision qui conduit vers un art élitiste. D'ailleurs, comment ne pas avoir de doutes sur la façon de transmettre un art quand extrêmement peu d'élus y parviennent. Est-ce normal ou normatif ?

À défaut de parler d'amour pour un métier censé être l'un des plus beaux – le professorat –, trop de « contributeurs » continuent de communiquer leur science par mimétisme ou par conviction ; la seconde étant certainement la plus dangereuse. Sans détenir personnellement un point de vue irréprochable concernant la manière d'enseigner, dès que nous oublions les états d'âme de l'individu, c'est la société qui se recroqueville !

Pour la majorité des enseignants, la technique est au centre de l'apprentissage. La « bonne position » face au piano, que nous avons longuement abordé dans le site, en est une parfaite illustration. La technique, le musicien ne peut s'en passer, car elle est essentielle pour être au niveau, et même au-dessus de l'œuvre à exécuter (pour une question de maîtrise). Or, toute technique emprunte un chemin pour y parvenir, et c'est fréquemment là, dans la méthode et les moyens utilisés, que bien des enfants (et des adultes) renoncent à poursuivre.

Faut-il rappeler par ailleurs qu'en abordant la musique, nous accueillons un art, une matière malléable, qui se transforme et évolue ; tout le contraire des écritures formatrices qui sont, par nature, statiques et qui rejoignent des procédés exigeants ne conduisant pas nécessairement à s'épanouir artistiquement. Pour celles et ceux qui parviennent à dépasser le stade de la découverte, les témoignages attestent régulièrement : que la « réussite artistique » intervient après bien des sacrifices et des doutes à poursuivre.

Dans les conservatoires, seule la qualité de l'interprétation permet au musicien d'avoir une porte de sortie acceptable. À moins de prendre des cours privés avec un professeur à l'écoute et aux compétences adaptées au profil de l'élève, ce dernier, sagement installé sur le banc d'une salle de conservatoire, a toutes les chances de commencer l'étude de l'instrument selon une méthode désignée et approuvée sans autre recours que de l'accepter. En conséquence, le réveil – parfois tardif – peut être douloureux et entraîner une désaffection pour la musique et l'instrument, sans lendemain heureux, comme une perception faussée et placée sous contrainte.

Toutes les méthodes écrites possèdent une directive qui peut se transformer en une faiblesse côté pédagogique. C'est d'autant plus exact si l'enseignant n'est pas en capacité de l'adapter, voire d'y renoncer. Cette attitude implique nécessairement un sens de l'observation, une remise en question et une souplesse d'esprit que l'on rencontre fort rarement dans les conservatoires, puisque, à cause de la diversité des divers domaines musicaux abordés (interprétation musicale ou vocale, composition, direction d'orchestre, etc.) et de l'obtention d'un aboutissement qui vise l'excellence, la réponse pédagogique suppose une exemplarité au-dessus de tout jugement de valeurs. La Direction de la musique de chaque conservatoire s'y emploie tout en dédramatisant l'image renvoyée.

Souplesse et résultat irréprochable doivent cohabiter. La diversité des programmes offerts, allant des cours pour les jeunes enfants débutants à des parcours de niveau universitaire menant à des diplômes de fin d'études, s'accompagnent généralement de leçons théoriques et historiques, en plus de la pratique instrumentale. Ce programme abouti a depuis été visiblement bousculé par l'arrivée d'Internet, même si sur le fond l'exigence de résultat est toujours aussi probante. En soi, Internet a particulièrement révélé et communiqué des messages d'émancipation visant à préserver l'individu dans ses choix, notamment en incitant les conservatoires à développer davantage les classes d'ensemble, les orchestres et à s'ouvrir à la musique improvisée, ce qui constitue des données essentielles pour préparer le musicien en devenir.

En résumé et malgré quelques remontrances prouvées, les conservatoires évoluent et continuent de jouer un rôle essentiel dans la préservation et le développement de la musique classique et contemporaine. Néanmoins, si sa mission est de former les musiciens professionnels de demain, je me fais fort de rappeler que les examens de passage obligé ne constituent finalement qu'une sorte de « contrat » entre l'établissement et ses élèves et qu'ils n'ont, en aucune façon, le pouvoir de refléter la compétence d'une personne à se mouvoir intelligemment dans les strates de la réussite artistique.

par ELIAN JOUGLA (Piano Web – 06/2024)


À CONSULTER

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